Double frustation 18 novembre
Une journée chasse l’autre, un problème en balaye un autre! Après une journée de dur labeur, j’ai décidé de partir tôt; 18 heures pour ne rien vous cacher. D’un pas allègre et léger je me dirige vers le RER A comme des milliers d’autres moutons de panurge que moi attirés invariablement par cette antre éclairée. L’un s’y engouffre; les autres suivent! Là après un long et glauque couloir d’environ 200 mètres, telle une rangée de péage autoroutier, Une armée de tourniquets trône devant moi surmontés d’écrans ( Pas Plasma, la RATP investit, certes mais dans quoi????) de vieille génération indique que suite à un dégagement de fumée dans le tunnel entre La Défense et Charles de Gaulle étoile, la circulation des RER est interrompue jusqu’à nouvel ordre. Je peste intérieurement mais comme mes congénères, bêtement je l’avoue, je continue ma descente dans les entrailles pour m’en assurer de visu! Le quai est archibondé. Vieilles rombières ( Secrétaires chez AXA, version 1970 en plus ridé ), Cadres Supérieurs à l’élégance bousculée, froissée par tant de frottements incessants sur leurs costumes, jadis, resplendissants, belles de banlieues aux tailles anorexo-anémiques poudrées comme des courtisanes du siècle dernier, ouvriers et différents corps de métiers aux gueules et mains meurtries, petits chefaillons aux mines irritées, étudiants en goguette, employés zélés, cadres stressés, bref, tout le ghotta des profondeurs dévisagent avec des mines déconfites les panneaux indicateurs pas plus bavards que les hauts-parleurs.
C’est un ballet incessant qui se produit devant mes yeux. Les uns descendent, tournent, gémissent, grognent, virevoltent puis remontent l’air contri. J’intègre cet étrange menuet et me retrouve un bon quart d’heure plus tard à l’air libre. Armé de bonne volonté et d’impatience, je décide de rentrer à pied. Ai-je le choix? A vrai dire, non! Vingt minutes de marche me permettent de rallier la Grande Arche de la Défense. Toujours aussi stupidement que mes crétins de congénères je me décide à retenter une approche affutée vers une hypothétique rame de RER tout en pensant que si la situation n’a pas évolué je me rabattrai sur la Ligne 1 du Métro, voire sur ce maudit bus 73 qui en temps normal a déjà une fréquence campagnarde d’un départ toutes les demi-heure à la discrétion du chauffeur et en fonction de son humeur! Et hop c’est reparti pour une descente d’environ trente mètres dans les intestins de cette maudite Défense mais la queue est conséquente! J’oublie les Escalators et tente les escaliers; La bousculade fait rage, les acteurs sont féroces! Trois côtes fêlées plus tard, façon de parler, mes baskets cent fois écrasées, le regard égaré et la veste élimée je me retrouve alors devant un cordon de policiers aux mines dépitées qui empêche tout accès au quais du RER. Demi-tour risqué, traversée en biais d’un important flot de moutons made in la Défense et me voilà plein d’espoir devant l’entrée du métro. Peine perdue! D’autres policiers plus coriaces et voraces en défendent héroiquement l’accès. Cela fait près de quarante minutes que j’ai quitté mon lieu de travail et me revoilà entrain de gravir des escaliers pour m’extirper de cet enfer kafkaïen! Je n’ose aller zieuter du côté du bus 73 et bien, à mon humble avis, m’en prend! Alors telle une fusée je décide de rallier Neuilly, terre de toutes mes espérances chaussé de presque va-nus pieds. Vingt minutes supplémentaires me font arriver péniblement au métro Sablons en âge, les pieds endoloris, l’oeil fatigué et l’humeur maussade.
C’est à ce moment là que mes origines se rappellent à moi. Ah Neuilly, antre de paix, de tranquillité, de bien-être, de….mais il est temps que j’arrête de rêvasser, mes courses ne sont pas faites, l’horloge bat des aiguilles de plus en plus vite et ma soirée s’en trouve plus que diminuée! J’ai alors cette ingénieuse idée ( qui m’est propre, hum!!!) d’assurer au plus vite ces besoins alimentaires. Je me dirige vers le Monoprix pour au dernier moment me souvenir que non, décidément non, mon pouvoir d’achat ne me permet plus d’aller me sustenter dans cette antre libérale et néo-capitaliste de Neuilly. Le vieux Roumain devant le magasin, gardien d’enfants, de sacs et de chiens occasionnel à qui j’accordais en bon catholique deux euros chaque jour me reconnais instantanément. Son visage exprime de la béatitude, le mien de l’inquiétude. L’homme me serre la main ( Code entre-nous qui me permettait de lui remettre sa pièce en toute dignité lors d’une franche poignée). Ne sentant pas les deniers espérés mais voyant ma mine fatiguée, il me dit avec un accent prononcé mais empli de sincérité « Courage, d’autres lendemains meilleurs!!! »
Je me rabats alors vers le modeste Franprix de l’avenue Charles de Gaulle. Dix endives hors de prix, du poulet transgénique, un pain de mie chimique, une bouteille de rosé frelatée et dix paquets de mouchoirs en papier de piètre qualité plus tard et me revoici à déambuler chargé comme un bon bourriquet dans les belles allées de cette cité que jadis j’ai longtemps côtoyé. Je croise élégantes promenant leurs lévriers, Mannequins bling-bling juchées sur des talons de quinze centimètres qui me croisent sans me voir, employés de bureau fumant leur bâtons cancérigènes devant les halls d’entrée et se réjouissant de toute cette foule harassée déambulant devant leurs frêles pieds et Charles Pasqua à la mine fatiguée qui involontairement manque à un feu rouge de se reposer sur mon épaule de modeste salarié me prenant sûrement pour un poteau. L’homme est âgé, son garde du corps entraîné…. je laisse tomber!
Mes pas me conduisent alors tout droit pour une nouvelle tentative dans le métro ( Oui je suis persévérant, d’autres diraient con; A chacun son interprétation!) Le quai est surchargé et cela n’est pas bon signe. Une rame arrive soudain. Belles et élégants au départ stoïques attendent l’ouverture automatique des portes. A l’intérieur ce sont des rangées de suppositoires comprimés et de rectums étirés qui se mettent alors tous en même temps à prendre une ou deux bouffées d’air de nos bons sous-sols pollués. A peine le premier clampin coincé dans cette bétaillère tente t-’il désespérément de s’en extraire que les belles et beaux qui sagement attendaient sur le quai se transforment en une meute affamée, le regard aiguisé et tentent une rentrée en force, s’incrustant tant bien que vaille dans les quelques infimes interstices encore libres, poussant, repoussant jusqu’à l’infinie la masse déjà compressée et recroquevillée qui survit tant bien que mal à l’intérieur! Là mon coco, me dis-je avec tes deux sacs de courses, ta musette et tes deux baguettes déjà en piteux état, n’essaie même pas ( Instant de lucidité!). Une énième fois je remonte, tel Jésus chargé de sa croix, vers mon golgotta.
Je tente alors de rallier le 43, un bus qui m’amménera aux Ternes où là logiquement je pourrai rejoindre une ligne de métro moins bondée et tant espérée. Je prend une rue de traverse, passe devant une brasserie que j’ai beaucoup fréquenté pour mes déjeuners. Devant une horde de photographes me bouscule à moitié. Serais-ce le début de la célébrité? Que nenni, à l’intérieur, Jean Sarkozy, le fils ainé de mon bon président organise un cocktail entre initiés. Le champagne coule à flots, les petits fours vites avalés et moi quasiment chassé, pas faute d’avoir pourtant essayé malgré mon allure de pestiféré, d’y entrer, histoire de me reposer. Je me sens doublement frustré! Le bus tant attendu arrive, l’air y est vicié mais il n’est pas bon de faire ce soir le difficile. Une fille à papa croise les jambes comme un charretier de bas étage, nettoyant au passage ses converses d’un autre âge sur mon jean usé, dehors aux terrasses chauffées des brasseries, les quidams prennent l’apéritif et moi l’odeur des aisselles de ma voisine qui visiblement à du faire le même trajet que moi à pied. Je rallie enfin ma ligne salvatrice qui quoique un peu encombrée me ramène indubitablement vers mon quartier. Finalement 2H45 après mon départ du bureau je réintègre, lessivé, mon domicile parisien, sacrée journée!
Bien à vous,
Saint-Sulpice