Estampes Japonaises – Partie 1 7 mars
Anonyme – « Sites célèbres de Tôkyô. Kameido » (Tôkyô meisho. Kameido) – Vers 1880 (date supposée car la ville d’Edo prit le nom de Tôkyô à l’époque Meiji)
La distinction entre les crépons japonais et l’estampe est utile pour éviter toute confusion. Les crépons japonais (chirimen-e), imagerie populaire bon marché, furent parfois à l’origine de la découverte de l’estampe ukiyo-e par les artistes français, Van Gogh, Rodin, Matisse. Ce dernier écrivit : « La couleur existe en elle-même, possède une beauté propre. Ce sont les crépons japonais que nous achetions pour quelques sous rue de Seine qui nous l’ont révélée. »
Et plus loin, « Une fois l’œil désencrassé, nettoyé par les crépons japonais, j’étais apte à recevoir les couleurs en raison de leur pouvoir émotif. » (« Le Chemin de la couleur », Art présent II, 1947, p. 203.) Bonnard en achètera lui aussi dans les grands magasins : « C’est là que je trouvais pour un ou deux sous des crépons ou des papiers de riz froissés aux couleurs étonnantes », écrira-t-il à Gaston Diehl.
Ces crépons, que d’autres artistes aussi découvrirent sur les quais, enveloppant des marchandises venues du Japon, révélaient avec plus d’évidence le pouvoir de la couleur que ne l’auraient fait les estampes des grands maîtres du XVIIIe siècle. La vivacité de leurs couleurs chimiques, à l’aniline, très différentes des pigments minéraux et végétaux aux tons délicats, utilisés antérieurement, en était la cause.
L’estampe, sur ce papier « crépon », souple, proche de l’étoffe, traité d’une manière spéciale, était réduite par froissement entre deux planches biseautées mais demeurait identique à l’original. Ici, l’artiste anonyme a imprimé sur crépon le temple Kameido, sanctuaire shintô à Tôkyô, célèbre pour les glycines de ses jardins, qui sont toujours l’un de ses agréments. Le site est caractéristique du jardin japonais, avec la passerelle de bois qui mène au temple, sous les glycines, au-dessus d’un plan d’eau où poussent les iris. Passer sur le pont était considéré comme un acte de dévotion à la divinité du temple, Sugawara no Michizane (845-903), ministre à la cour de Kyôto, calligraphe et patron de l’érudition.
Le paysage n’est pas sans évoquer le pont aux glycines du jardin de Monet, à Giverny.
Kitagawa Utamaro (1753 ?-1806) – Bois de trait d’un portrait de jeune femme en plan rapproché
Le tracé et les aplats ont été épargnés. Le dessin apparaît en relief et sera encré. Le kentô, encoche de repérage, nécessaire pour éviter les décalages lors de l’impression des différentes planches gravées, une par couleur, est visible dans l’angle inférieur gauche. Une marque se distingue aussi dans l’angle supérieur gauche.
Ce bois original d’Utamaro provient d’un don de Germaine de Coster, graveur, illustrateur de livres et relieur, qui pratiqua la gravure à la manière japonaise dans la première moitié du XXe siècle. (G. L.)
Kitagawa Utamaro (1753 ?-1806) – Impression moderne du portrait de jeune femme en plan rapproché
Le nombre d’épreuves de la planche de trait imprimées correspondra au nombre de couleurs. Chaque épreuve imprimée sur papier très fin sera collée sur une planche différente et gravée aux endroits de la couleur correspondante.
Cette impression fut réalisée par Prosper-Alphonse Isaac, descendant de la famille Plantin d’Anvers, imprimeurs depuis le XVIe siècle. Il fut l’un des premiers à pratiquer la gravure sur bois en couleurs à la manière japonaise. Il retira de nombreux bois japonais anciens comme celui-ci.
Ando Hiroshige (1797-1858) – « Modèles de dessins » (Gagaku tehon) – Planche de trait avec cinq sujets : « Branche de prunier en fleurs » (Azuma ume) ; bateaux dans la baie de Susaki au clair de lune (Susaki) ; geisha vue de dos ; oiseaux et bambous sous la neige ; vêtement sur un paravent accompagné d’un poème.
L’encoche de repérage (kentô) se distingue dans l’angle inférieur droit. Une autre marque, sur le bord inférieur de la planche, vers la gauche, sert aussi de repérage.
Ando Hiroshige (1797-1858) – « Modèles de dessins » (Gagaku tehon) – Planche de couleurs primaires (bleu)
Ando Hiroshige (1797-1858) – « Modèles de dessins » (Gagaku tehon) – Planche de couleurs primaires (jaune)
Ando Hiroshige (1797-1858) – « Modèles de dessins » (Gagaku tehon) – Planche de couleurs primaire (rouge)
La couleur rouge est utilisée pour les cachets, la couleur jaune pour une partie de la coiffure de la femme et pour les bambous sous les oiseaux. Le bleu est utilisé pour une autre partie de la coiffure, pour le kimono et la branche en fleurs. Parfois le bleu, mêlé au jaune, donnera le vert. Cette planche, la dernière, est teintée de couleur orange pour le kimono et de violet.
Elle comporte la signature de l’artiste et le cartouche du titre. Des fragments du dessin de la geisha, collés sur la planche, sont encore visibles. Sur toutes les planches, les encoches (kentô) pour le repérage sont nettement visibles.
Ando Hiroshige (1797-1858) – « Modèles de dessins » (Gagaku tehon) – Planche de couleurs complémentaires (orange et violet)
La couleur rouge est utilisée pour les cachets, la couleur jaune pour une partie de la coiffure de la femme et pour les bambous sous les oiseaux. Le bleu est utilisé pour une autre partie de la coiffure, pour le kimono et la branche en fleurs. Parfois le bleu, mêlé au jaune, donnera le vert. Cette planche, la dernière, est teintée de couleur orange pour le kimono et de violet.
Elle comporte la signature de l’artiste et le cartouche du titre. Des fragments du dessin de la geisha, collés sur la planche, sont encore visibles. Sur toutes les planches, les encoches (kentô) pour le repérage sont nettement visibles.
Utagawa Toyokuni. 1769-1825 – Représentation au théâtre Nakamura-za – Vers le milieu des années 1790
Toyokuni a dessiné l’intérieur d’un des principaux théâtres kabuki d’Edo, le Nakamura-za, appelé à l’origine Saruwaka-za, en « image en relief », c’est-à-dire en perspective européenne (uki-e). Malgré l’isolement du Japon, les livres et les gravures d’Occident étaient connus, et la perspective très prisée. Très tôt, les artistes, tel Masanobu (1686-1764), s’y étaient essayés avec plus ou moins de talent. C’est avec un sens du pittoresque doublé d’un esprit d’observation plein d’humour, que l’artiste saisit l’effervescence qui règne dans un théâtre, lors d’une représentation attirant un nombreux public. L’inscription en gros caractères sur la bannière, ôiri (« affluence ») témoigne en effet du succès de la pièce.
L’ouverture du rideau à rayures qui s’aperçoit haut, à gauche, était accompagnée d’un bruit destiné à attirer l’attention des spectateurs dans la direction de l’entrée de l’acteur.
Celui-ci rejoignait la scène en empruntant l’hanamichi, chemin traversant la salle, à gauche. Ce « pont aux fleurs », introduit en 1666 et perfectionné en 1735, créait un lien entre le public et l’acteur, qui s’y arrêtait, introduisait l’action, stimulait la salle.
Dans cette représentation, derrière les acteurs déjà sur scène, sont assis les musiciens jouant du shamisen, instrument de musique à trois cordes accompagnant les pièces de kabuki, avec, à leur côté, les narrateurs, récitants ou chanteurs.
Dans la salle, le parterre est occupé par un grand nombre de spectateurs qui échangent leurs impressions, se restaurent, vont et viennent, s’interpellent, fument, achètent des colifichets aux colporteurs, s’échangent des messages. Aux balcons et dans les loges, des amateurs sont plus attentifs au déroulement du drame. Les colporteurs, les marchands ambulants circulent parmi l’assemblée et présentent leurs marchandises. Cette animation s’explique par la longue durée du spectacle.
Bien à vous,
Saint-Sulpice