Le culte de la divine bouteille 25 avril
Qui n’a pas poussé un jour la porte d’un vieux bistrot de quartier. L’un de ceux devant lesquels habituellement on presse le pas, l’un de ceux qui n’attirent pas l’oeil ni l’envie. C’est dans l’un de ceux-là qu’un après-midi j’ai atterri. « L’espoir » c’est le nom du bistrot, voilà qui ne s’invente pas. Un petit comptoir, quelques tables aux chaises dépareillées, de vieux cendriers Ricard. ( c’était avant la loi douce et tolérante de janvier dernier!!!!) Attablé, un express devant moi je l’ai vu entrer « Gilbert » ( ça non plus cela ne s’invente pas) Gilbert a tout pour plaire! Il est érémiste, gras et petit. Son visage est buriné, empli de ces crevasses qui trahissent leurs origines. Sa peau est rosée, sa truffe écarlate. Il est à mi-chemin entre la quarantaine et la cinquantaine mais en paraît au moins soixante. Gilbert est vieux garçon mais surtout sa spécificité c’est d’être « 1er pilier de bar » de l’Espoir. Un titre qu’il s’est évertué à décrocher à coup de canons et sans compter ni sa peine ni sa sueur. 25 ans qu’il est pilier de bar, un quart de siècle. Un vrai pilier d’antan comme on en fait plus. Gilbert sa religion c’est la boisson et son église, c’est le bar de « l’Espoir » où il y célèbre journalièrement le culte de la divine bouteille. De l’espoir il lui en a fallu pour parvenir à ce grade. Sa place en bout de comptoir au même titre que certaines grandes tables parisiennes lui ai réservée et personne hormis un quidam de passage écervelé n’oserait un instant lui emprunter.
Il n’est pas le seul! D’autres fidèles viennent aussi le rejoindre à « la grand messe du sacro-saint litron » ancienne et vénérable cérémonie ayant pour effet de communier ensemble jusqu’à la liesse absolue. Toutes les âmes en peines sont les bienvenues et la quête est permanente. Le curé de l’Espoir en chemise blanche, pantalon et gilet noir officie avec tact, délivrant de temps à autre à ses plus fidèles éméchés un sermon mais jamais long! C’est un brave homme se souciant de son prochain et ne supportant pas qu’une ou plusieurs de ses ouailles puisse rencontrer quelques tracas pour avoir adoré un peu trop longtemps la sainte bouteille. Tout le monde est le bienvenu même le païen que je suis qui officie avec un simple café.
Parmi les fidèles certains se distinguent. ce sont les moines du sang de la vigne vénérant ladite boisson. Si pratiquants qu’aprés chaque adulation ils partent à confess. Ce lieu de confession au bout du comptoir au fond d’un petit couloir ne désemplit jamais. Si à l’aller ils semblent tracassés et soucieux, au sortir je les sens soulagés, sereins prêts plus que jamais à de nouveau prier. Au pied de l’autel (le comptoir) gît d’hideux charniers mégotés ayant le temps de leur combustion encensés l’ensemble de l’édifice de leurs volutes de fumée. Quelle atmosphère endiablée s’est donc emparée de cette chapelle babelisée! C’est donc dans cette ambiance empreinte de religiosité vinesque que notre ami Gilbert évolue tel un bon bigot entourée de vieilles grenouilles de bénitiers, sacristains, disciples et autres servants. Jamais il ne rate une procession, présent à chaque occasion.
Les rois mages, il les connaît bien. Souvent ils les voient arriver dans de beaux camions bigarrés »Tafanel » « Richard » et « Ricard » les mains chargées de pleins de présents offerts à notre petit curé par milliers. Si « l’Espoir » n’est qu’une modeste chapelle sachez que dans de belles et majestueuses cathédrales officient la fine fleur, les cardinaux du litron; les sommeliers, véritables bibles vivantes de ce merveilleux liquide aux vertus euphorisantes….
Hiver comme été, qu’il neige ou qu’il vente on peut croiser les ambassadeurs de ce culte enivrant gisants sur bancs et trottoirs tel des prophètes, propageant à qui veut bien l’entendre les vertus de la divine boisson et brandissant fièrement leurs croix, de splendides litrons aux emballages de verre ou de plastique, centre de leur vie, chaleur de leurs âmes pour lesquels ils ont tout abandonné. Tel des moines bouddhistes de l’ancien royaume du Siam, ils vont de portes en portes quêter, mendier leur litre quotidien….
Les temps changent et ces fidèles apôtres comme à l’image des premiers chrétiens désormaient sont pourchassés, montrés du doigt. De plus en plus on célèbre dans l’ombre, on cache la substance interdite comme le divin enfant. Sacré bouteille…….