Sophie Ristelhueber – Musée du Jeu de Paume – Paris 25 février
Aux visiteurs de l’exposition de Sophie Ristelhueber, au Jeu de paume à Paris, nous conseillons de commencer par une salle lumineuse, vaste, au premier étage. On y trouve sa série de photographies intitulée « Fait ». Elle a été réalisée en octobre 1991 dans le désert du Koweït et a été dévoilée au public à Grenoble, un an plus tard. Jamais nous n’avions vu ça. C’est une pièce mythique.
De retour à Paris, elle tire une quarantaine de photos en grand format et les colle les unes aux autres pour former une sorte de damier allongé. Elle publie aussi un livre de format poche, mais rigide (Editions Hazan). Pas de commentaire, aucun contexte ou explication, des photos pleine page encadrées par deux fragments de texte, tirés de De la guerre, de Clausewitz. Là encore, du jamais-vu.
Il n’y a pas de sentiment chez Clausevitz. Pas de sentiment chez Ristelhueber. Juste des faits, des traces et des reliques, des surfaces et des objets. Elle dit : j’ai vu cela, à vous d’imaginer, de vous représenter. Tout l’opposé du paysage romantique ou de la vue tragique de guerre visant à faire monter un souvenir, une larme ou une indignation chez celui qui regarde.
Les partis pris de l’artiste, qui visent à brouiller la représentation, laissent le spectateur un peu plus désemparé. Noir et blanc et couleur sont mêlés, les perspectives et l’échelle sont gommées – on ne voit pas le ciel, les vues au sol tutoient celles en avion. Les épreuves, collées sur aluminium, s’offrent au regard sans vitre de protection. Sans reflet. Les couleurs sont mates, les noirs cendrés. Ce qui compte, c’est la confrontation avec la matière.
En France, les reproches sont tombés : des photos banales et sans qualité, sans personne pour animer le cadre, sans composition harmonieuse, sans détail spectaculaire pour pimenter le regard. Il est vrai que nous sommes à l’opposé de la photo de presse. En fait jamais un artiste n’avait titillé le photographe de guerre sur son terrain. Ni montré des conflits de cette manière. Son cadre n’est plus une fenêtre sur le monde, mais un mélange, difficile à décrire, de document et de fiction, de réalisme et d’abstraction. Une sorte de cauchemar à la David Lynch.
D’autres pays – Etats-Unis, Allemagne, Belgique, Suisse – ont mieux accepté ce regard. A Boston, aux Etats-Unis, le musée de la ville a présenté sa première rétrospective, durant l’hiver 2001-2002, sous un titre qui lui va comme un gant : « Détails du monde ». L’avantage d’une rétrospective est de situer ce travail au Koweït dans l’oeuvre globale. Voir d’où elle vient, où elle va. D’une salle à l’autre, en découvrant aussi ses dernières vidéos, la cohérence du parcours saute aux yeux. Ristelhueber aime à la fois les idées et le terrain. Elle est conceptuelle et sensible. C’est une grande marcheuse fascinée par l’actualité, les informations enfouies et cachées. Elle se nourrit de journaux et d’images, puis vit son expérience in situ.
Elle a photographié les bâtiments détruits de Beyrouth en 1982 après la guerre du Liban. Elle a enregistré les cicatrices sur les corps en ex-Yougoslavie. Elle a parcouru les routes secondaires de Cisjordanie que des Israéliens ont obstruées de rochers pour empêcher les Palestiniens de circuler. Elle a saisi les rues trouées par des explosions d’obus au Liban. Mais elle a aussi photographié le paysage accidenté de l’arrière-pays niçois, ou le sol du jardin du Luxembourg, celui de son enfance. « L’enjeu, c’est la terre », dit souvent Sophie Ristelhueber. Comment elle bouge, comment on se l’approprie, comment on la martyrise. C’est sa façon à elle de faire de la géopolitique, de la mêler à sa géographie familiale.
Au début, elle est une photographe plutôt classique, qui fait confiance à l’enregistrement, fréquente Robert Doisneau, réalise avec Raymond Depardon le film documentaire San Clemente (1982) sur un hôpital psychiatrique au large de Venise. Et puis, le temps passant, elle fabrique ses images, s’approprie le sol comme une pâte à modeler. Elle s’est approprié le Jeu de paume comme si elle était à la maison. Elle a fait entrer la lumière de la place de la Concorde en enlevant les volets qui masquaient les fenêtres. Elle a dédramatisé le lieu pour mieux voir les images. Et c’est magnifique.
Bonne exposition,
Saint-Sulpice
Jeu de paume -1, Place de la Concorde – 75008 Paris – Métro Concorde. Du mercredi au vendredi, de 12 heures à 19 heures, mardi jusqu’à 21 heures ; samedi et dimanche, à partir de 10 heures - Tarifs 6 € et 4 € – Jusqu’au 22 mars 2009 ~ Catalogue, « Opérations », textes collectifs, éd. Les Presses du Réel-Jeu de paume. 448 pages 45 €.
4 commentaires
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lucaerne 25 février
Ça, c’est du changement d’univers ! Quoique, c’est toujours la vie, finalement. C’est étrange cette obsession des routes qui ne mènent nulle part, ou qui sont subitement barrées. Qu’en dirait ce cher Freud ? En tout cas, moi, ça me parle. Là où on condamne les routes, on condamne l’espoir…
saintsulpice 25 février
les poires?????
lucaerne 25 février
Comment tu sais que je fais le poirier ?
saintsulpice 25 février
ben par la webcam qui est dans le…euh….de Glu…euh peux-pas t’expliquer…pauvre chat