Etienne Dumont fête ses soixante ans… 21 février
Il fait partie des personnes les plus “modifiées” au monde : pour fêter ses 60 ans, Etienne Dumont —célèbre critique d’art à Genève— s’est fait exposer dans une galerie d’art, afin que tous puissent enfin voir son corps, enfin dévoilé.
On l’appelle le «Papou genévois» mais, paradoxalement, ce phénomène ambulant cultive l’ombre. Coiffé d’un bonnet, emmitouflé dans des mitaines, il refuse longtemps d’accorder le moindre interview au sujet de ses étonnantes transformations… Jusqu’à ce que – il y a un mois environ – la galerie Krisal de Genève parvienne à le convaincre d’exposer des images de son corps nu ou presque… Pour fêter ses 60 ans, Etienne Dumont a décidé de se faire prendre en photo par 12 photographes. L’expo dure deux jours et attire une foule de curieux. “J’étais très surpris, avoue Francis Trauning, un des photographes. J’ai vendu un grand portrait d’Etienne, celui dans lequel on le voit enfant, puis adulte, puis transformé… Je n’aurais jamais pensé que des gens puissent avoir envie de posséder une photo aussi frappante chez eux.” La mention “frappante” n’est pas exagérée.
Journaliste spécialisé art et culture de la Tribune de Genève, Etienne Dumont porte un tatouage quasi-intégral. Il est recouvert d’encre de la tête au pied, à la seule exception des paupières, des parties génitales, de l’anus et de la paume des mains et des pieds. Etienne Dumont porte en outre, sous la lèvre, une sorte de hublot qui montre la racine de ses dents et ses gencives. Ses oreilles sont ornées de gigantesques disques, pareilles à des décorations primitives. Il s’est fait implanter deux gros anneaux de métal qui apparaissent en relief sur le dos de ses mains. Au-dessus du front, un pédoncule semblable à un oeil globuleux d’extra-terrestre pointe comme une antenne. A l’origine, il avait deux “cornes” sur la tête. Une nécrose foudroyante l’a obligé à se débarrasser de celle de droite. Ce qui l’énerve : il aurait voulu être symétrique. Mais les lois du corps n’ont rien à voir avec l’ordre et la raison.
“J’ai appris avec ces modifications qu’il ne fallait pas avoir de plan pré-établi, dit Etienne. C’est peut-être la principale leçon qu’il y a à retirer d’une telle démarche. Il faut accepter d’avoir la partie droite du corps moins bien irriguée (c’est le cas pour la majorité des gens), donc moins apte à subir des modifications extrêmes. Dans le lobe de mon oreille gauche, je porte un disque de 7 cm de diamètre. Le disque de droite fait seulement 4 cm. Sur le visage, je porte un tatouage qu’il a fallu rendre dissymétrique pour qu’il ait l’air symétrique : il y a plus de lignes d’un côté que de l’autre, mais ça ne se voit pas justement. Il faut donc tricher avec les parties droites et gauches du corps. Mettre au point des illusions d’optique. J’ai l’impression d’avoir passé des années à assembler un puzzle.”
Pour lui, tout commence en 1974. A l’époque, il n’y a pas de convention, pas de salon de tatouage, et les seuls motifs disponibles sont d’une pauvreté affligeante : des elfes et des ancres marines. Etienne Dumont se fait tatouer un aigle “avec une vague chose dessous. J’ai porté cette croix pendant 6 ans ! C’était tellement moche…”. Il n’aime pas le résultat, mais il aime l’acte et c’est pourquoi, quelques années après cette première tentative, Etienne Dumont retourne dans un studio pour se faire recouvrir l’aigle. Deux ans passent, Etienne brusquement se dit qu’il aimerait avoir un autre tatouage. “C’était en 1983, je suis tombé sur Dominique Lang et à l’époque on découvrait les tatouages dans le dos. Alors je me suis fait faire quelque chose dans le dos, ce qui m’a ensuite donné l’envie de faire un jumeau sur l’autre partie du dos, puis l’épaule, puis la cuisse…”. Etienne procède par à-coups, en faisant sauter des “verrous” successifs. “A chaque fois, je disais “On en reste là”. Puis, je revenais avec de nouvelles envies. Ça ne s’est arrêté qu’en 2005. Chaque fois, je disais à Dominique : “On ne va pas plus loin que l’épaule”, “pas plus loin que le coude”, pas plus loin que le poignet”. Puis, c’est allé jusqu’aux ongles, jusqu’aux pieds, jusqu’en haut du cou… Et là j’ai dit : “C’est terminé, c’est vraiment terminé”. On était en 1999.
Dans une une revue allemande, j’ai vu un tatouage blanc sur un visage. J’ai voulu le même, une sorte de barbe tribale recouvrant le menton, les mâchoires et le contour des lèvres. On l’a fait en blanc. Mais je trouvais que ça ne vieillissait pas très bien, ça virait jaune… Mon tatouage tournait comme un vulgaire yaourt. L’année suivante je l’ai fait faire en noir… Entre-temps j’avais vu au Musée d’Orsay, lors de l’exposition sur les moulages, le buste en plâtre d’un Néo-Zélandais, au visage couvert d’incisions soulignées d’encre. Longtemps, j’ai pensé à cette chose, sur ma table de nuit imaginaire, puis j’ai téléphoné à Dominique Lang : “On le fait.” Il n’était pas chaud. On l’a fait, en couleur. Ça m’embêtait d’avoir de la couleur sur le corps et la tête en noir et blanc, c’est comme si j’étais deux personnes. Alors on a tout refait en couleur. Ça a pris 10 mois, en tâtonnant. Il se passait toutes sortes de choses bizarres pendant les séances. Quand il plantait son aiguille dans les ailes de mon nez, par exemple, ça déclenchait des éternuements. Il fallait s’interrompre toutes les 10 secondes.”
Etienne Dumont et son tatoueur expérimentent. Pour le visage, Dominique bidouille des aiguilles spéciales adaptées à l’épaisseur de la peau. Quand la peau est trop fine, elle fait buvard. L’encre se répand par capillarité et le dessin se transforme en tache… Il faut donc jouer sur le nombre d’aiguilles, enfoncer l’instrument plus ou moins loin dans le derme (au dixième de millimètre) et traiter, avec soin, les croutes de sang qui se forment ensuite… “Quand je me suis fait tatouer le genoux, je me suis retrouvé avec la jambe raide comme Frankenstein, avec une croute énorme… Sur les pieds aussi ça saigne beaucoup. La cicatrisation prend une semaine. Dans le dos, le lendemain d’une séance, je me réveillais avec les draps du lit incrustés dans la peau. Il fallait que je décolle le tissu à l’eau chaude… La douleur, je n’aime pas ça particulièrement. Il y a vraiment des moments où elle devient insupportable, surtout quand on est fatigué. Pendant la séance, il faut se concentrer. Le plus dur, c’est quand la tatoueur fait le dos, parce qu’on ne sait jamais à quel endroit il va piquer… La tête, c’est pas très agréable parce qu’on a l’impression d’avoir un marteau piqueur sur le crâne, avec l’effet de résonance. Mais là où ça fait le plus mal c’est dans les zones chatouilleuses, qui sont très innervées : en dessous des côtes, en ce qui me concerne. Le pourtour des oreilles est aussi très pénible, ça saigne tellement qu’il faut éponger en permanence.”
En 2005, Etienne Dumont pense en avoir fini avec ce martyre. C’est alors qu’il découvre le piercing, le stretching et les implants… De nouveaux horizons s’ouvrent devant lui. Quand je le rencontre, dans un bar gay d’Oberkampf, il affirme qu’il n’a plus de projets. Puis rajoute : “jusqu’à nouvel ordre.” C’est que cette corne en moins l’embête tout de même… “C’est trop bête d’avoir eu aussi mal pour aussi peu de résultat, soupire-t-il. Les cornes, il a fallu les faire en plusieurs fois. Pour que la peau se distende (3,8 cm de hauteur, plus 5 mm de peau), on a progressivement augmenté la taille de l’implant. J’ai donc eu 5 “générations” de cornes, jusqu’à ce qu’un jour, dans un hôtel à Venise, je sente mon doigt rentrer à l’intérieur de ma tête… Je touchais presque le crâne ! Il a fallu couper, recoudre, faire une chirurgie esthétique… Le médecin m’a dit : “On sait bien que vous allez recommencer, mais attendez un peu, n’est-ce pas ?”.
Bien que son corps ne corresponde pas à un projet artistique global ni prémédité, Etienne Dumont en est plutôt heureux. “Je l’ai fait comme quand on se promène dans un pâtisserie, explique-t-il. J’ai dit : “donnez-moi ça, et ça, et ça”. Il y a du tribal, du cyber, des estampes d’Hokusai (sur la cuisse droite, ça représente un viol, un monsieur agresse une dame, mais je l’ai choisi juste pour l’harmonie des couleurs et des volumes). Il y a aussi des crânes inspirés par des natures mortes hollandaises, des pivoines et des chrysanthèmes… On a essayé d’harmoniser le tout. Je n’attache aucun sens particulier à ces images. Il n’y a pas de symbolisme. Je n’ai fait tout ça que pour le plaisir. Et je ne me croyais pas capable d’aller jusqu’au bout. Vous savez, quand on dit aux gens : “Ce corps, c’est 450 heures de tatouages répartis sur 15 ans”, ils reculent devant ce que cela représente. Moi aussi, j’aurais reculé.”
Bien qu’il se défende d’accorder à son corps une autre valeur que celle de simple support à des expériences, Etienne Dumont avoue qu’il y a quelque chose de la parade amoureuse dans ce déploiement de couleurs et de formes outrancières. “Quand on est dans mon état, on n’entre plus quelque part, dit-il. On fait une entrée. Je ne peux plus la jouer modeste maintenant. Alors j’y vais. Et j’essaye d’avoir le bon mot. Un jour, une Anglaise en me voyant s’exclame “Oh my goodness, what a tattoo !” (Bonté divine, quel tatouage). Je lui ai répondu : “Goodness has nothing to do with it” (La bonté n’a rien à voir avec ça !). Parfois, quand des hommes me regardent, je me demande s’ils ne sont pas intéressés par moi. Il y a une ambiguité. Mais souvent, non, ils ne me draguent pas. Ils sont juste curieux. Parfois, j’oublie mon apparence. Je n’y pense pas vraiment. Je vis avec. Parfois, j’ai l’impression d’être dédoublé. Il y a mon corps et moi derrière. C’est comme un jeu de cache-cache.” Dans la rue, ceux qui réagissent mal sont généralement des immigrés, des gens qui essayent de s’intégrer et qui trouvent choquant de vouloir sortir de la norme.
En revanche, les vieilles personnes sont toujours complices. Elles approuvent. “Comme les vieux se sentent exclus, ils font preuve d’empathie avec ceux qu’ils pensent dans les marges, explique Etienne. Une fois, en Italie, une petite dame de 80 ans me félicite : “Signore, vous n’avez pas de bagage, pas de famille, pas d’enfant. Vous êtes un homme libre !”. A Paris, au Carrousel du Louvre, un gamin répète à voix haute : “Maman je veux voir le clown.” Et dans une exposition, alors que j’étais immobile devant une oeuvre d’art, une dame dit à son mari : “Mon dieu, j’ai cru qu’il était vivant !”. Elle me prenait pour une pièce de l’exposition. Le plus drôle, ce sont ces gens qui me disent bonjour dans la rue, à Genève, persuadés que je sais qui ils sont. Quand je leur dis que je ne les reconnais pas, ils s’exclament: “Ah bon ? Pourtant, moi je vous ai reconnu !”.
Bien à vous,
Saint-Sulpice
Parmi les personnes les plus modifiées au monde on trouve : Michael Jackson, Katzen (cat woman), Tom Leppard, Eric Sprague (Lizardman), Lucky Diamond Rich (en interview sur LaSpirale), Lolo Ferrari, Enigma, etc.
Etienne Dumont apparaitra dans « Tatoués, percés…. ceci est mon corps », documentaire de Olivier Delacroix, diffusé le 31 mars 2009 à 20h35 sur France 4.
lucaerne 21 février
J’avoue que je ne sais trop que penser de tout cela, ça me laisse perplexe. Mais le résultat est étonnant.
saintsulpice 21 février
Quelle souffrance sur soi-même pour s’éloigner de soi-même….
poucinella 4 avril
Déroutant! tout simplement déroutant!
Je pense qu’il a en fait osé faire , en plus grand certes, ce que bien des gens aimeraient faire pour eux même…
Lady33 3 septembre
Je trouve cet homme fabuleux et sa façon de voir les choses fascinante, certes je ne ferrais pas pareil, mais, j’admire vraiment ce qu’il est (aussi bien visuellement que psychologiquement).
Sa beauté est pertinente !
O0live.!? 3 septembre
C’est Waouuh, j’adore, j’adhère ! Fantastique !
Nicolas 7 octobre
Salut,
Je t ai croisé dans le train en Juillet en rentrant de londre j’ai été impressionné de te voire en réel puis en discutant avec des amis ils m’ont dis qui tu es et maintenant que j’ai lu les infos du site, je comprend mieux la démarche et du coup j suis frustré de pas avoir pu voire l’expo en suisse.
Si une autre est prévue ou une performence je serai content de pouvoir m’y rendre.
Bravo pour tes convictions tiens moi informer si quelque chose s’organise.